Porteur maraicher DECAUVILLE

Ici on parle de tout, comme au bar, le zinc en moins.
Avatar de l’utilisateur
PGueret
Messages : 41
Inscription : 18 mai 2021, 14:44

Porteur maraicher DECAUVILLE

Message par PGueret »

Porteur DECAUVILLE

Salarié de l'atelier paysan et passionné de chemins de fer à voies étroites, j'ai souvent croisé au cours de mes périples, d'anciennes installations de ''porteur Decauville''.
J'ai également lu des articles sur l'utilisation de ces mêmes porteurs dans des exploitations agricoles, ce qui m'a poussé à explorer d'avantage cette piste, dont je partage ici quelques éléments.
Decau.jpg
Decau.jpg (111.01 Kio) Consulté 2667 fois
Un peu d’histoire :
Paul Decauville (1846-1922) chef d’entreprise, ingénieur et personnage politique d’Essonne, fils d'exploitant agricole en Beauce, spécialisé dans la production de la betterave sucrière, est l’inventeur de la voie ferrée qui porte son nom. Il s’agit d’une voie ferrée étroite (40, 50 ou 60 cm d’écartement) dont la conception permet la pose et dépose faciles. La voie est constituée de sections complètes (rails et traverses) qu’il suffit d’assembler les unes avec les autres, à la manière d’un jeu de construction, pour former des lignes voire des réseaux complets. On parle ainsi du ‘porteur Decauville’.

Paul Decauville est issu d’une famille d’agriculteurs aisés devenus peu à peu de véritables industriels. Lorsque Paul arrive aux affaires10, les ateliers Decauville réalisent déjà des ouvrages importants destinés aux grandes compagnies de chemins de fer (châteaux d’eaux, ponts métalliques, chaudières, réchauffeurs, etc.). Les compétences acquises par la société en construction mécanique et en chaudronnerie constitueront des atouts décisifs dans la mise au point rapide du ‘porteur’

Avant de servir dans de nombreuses applications partout à travers le monde, il fut d’abord créé un chemin de fer portatif de faible écartement pour sauver un stock de 9.000 tonnes de betteraves attendant dans des champs détrempés de Beauce, inaccessibles aux chevaux/tracteurs de l’époque.

Ce nouveau moyen de transport prit donc le nom de « Porteur Decauville ». Ces mêmes wagonnets sur rails qui apparaissent par la suite dans les mines, usines, entrepôts, carrières et jardins maraîchers, en particulier chez les maraîchers à Saint-Denis-en-Val (près du site de production de ces mêmes porteurs).
Le matériel roulant :
decau 1 AP.jpg
decau 1 AP.jpg (130.22 Kio) Consulté 2667 fois
De nombreux wagons furent inventés pour répondre aux besoins des maraîchers, d’autres pourraient être imaginés en complément :

• wagon plateau porte-tout (caisses, pierres, bois, bâches, outils, engrais...)
• wagon benne basculante pour déplacer du fumier
• wagon arroseur ou mouilleur ‘’automatique’’
• wagon tonne à eau (300 à 1000 l selon l'écartement)
• wagon à ridelles (1, 2 ou 4 cotés)
• Wagon pour caisse palette
• wagon tondeuse
• Wagon atomiseur/pulverisateur

Exemple d'un wagon ''mouilleur'' à avance automatique de l'époque :
carnet04_06.jpg
carnet04_06.jpg (48.37 Kio) Consulté 2667 fois
Reconstruction d'un modèle universel :
En 2021, l’industrie de chemin de fer et de l'acier en général, n'est plus aussi présente qu'autrefois. Il faudrait donc imaginer reprendre les modèles d'époque et les repenser avec les matériaux actuellement disponibles.

On pourrait partir d'une base de wagonnet de ce type :
wagon simple.PNG
wagon simple.PNG (60.95 Kio) Consulté 2667 fois
Wagonnet universel sur lequel viendraient se greffer toutes sortes d'éléments :
wagon plateau.PNG
wagon plateau.PNG (69.29 Kio) Consulté 2667 fois
wagon ridelle.PNG
wagon ridelle.PNG (70.82 Kio) Consulté 2667 fois
wagon ridelles.PNG
wagon ridelles.PNG (77.99 Kio) Consulté 2667 fois
Je présente ici des éléments pour porter et déplacer des charges, mais on pourrait bien-sûr imaginer et/ou reprendre les systèmes constructifs des wagons d'époque. [b][u]La voie :[/u][/b] À l’époque, la voie du porteur se compose de travées de 5 mètres en rail de 4,5 kg par mètre linéaire. Fabriquée par le Creusot, elle eut un tel succès qu’un laminoir spécial devait lui être réservé. Le rail est étudié avec le même soin que les gros rails des compagnies de chemins de fer et arrive, par conséquent, à la plus grande résistance que puisse obtenir le fer travaillé. Cette voie sortait de l’usine du Creusot avec la marque imprimée dans le métal « Porteur Decauville ». [attachment=0]DSC_3127-Copie.jpg
Decau 2 AP.jpg
Decau 2 AP.jpg (123.3 Kio) Consulté 2667 fois
La voie de 40 centimètres a été conçue comme étant la plus rigide et en même temps la plus portative. Elle peut se porter par travées de 5 mètres, dont le poids est de 47 kilos, en se plaçant au milieu et en prenant un rail de chaque main. Les rails sont rivés sur des traverses d’écartement espacées de 1,25 m et formées par une bande de fer plat de 8 centimètres de largeur sur 4 mm d’épaisseur.
DSC_3127-Copie.jpg
DSC_3127-Copie.jpg (301.85 Kio) Consulté 2667 fois
La jonction des voies se fait sans chevillette ni boulon, en posant simplement des travées au bout l’une de l’autre. L’un des bouts, appelés « bout mâle », est armé d’éclisses rivées sur un seul côté du rail. En poussant ce bout mâle sous le champignon du rail déjà en place appelé « bout femelle », on obtient une solidité telle que le voie peut être soulevée en entier sans que la jonction ne se détruise. Ce petit chemin de fer est donc aussi portatif que possible, puisqu’il peut se monter et se démonter instantanément sans l’aide d’aucun outil.
Aujourd’hui, on pourrait imaginer des voies plus légères, toujours de 40cm de large mais par 3m de long réalisées en fer U de 30x15mm, les traverses pourrait également être en U30x15 pour minimiser le coût de production. Portant le poids à 25kg/tronçon environ, déplaçable raisonnablement à 2 personnes, mais possible seul également.
Rail R4000-COLLAGE.jpg
Rail R4000-COLLAGE.jpg (159.92 Kio) Consulté 2667 fois
Les principaux avantages du Porteur Decauville :

• Ergonomie, possibilité de porter et déplacer de lourdes charges sans efforts intenses (un enfant de 6 ans peut pousser seul une charge de 500kg sur du plat et sans peiner)
• Fabrication très simple
• Entretien quasi nul
• Non-tassement des sols ou très faible dû à la répartition des charges sur la voie.
• Facilité de mise en place/modularité : réseau modifiable à souhait par Tronçons de 3 m de long, écartement 40, 50 ou 60cm..., 22 à 27kg/tronçon environ. Assemblage par emboîtements sans outil, tous les éléments sont réversibles.
• Faible coût de fabrication et très grande durabilité en comparaison avec les engins motorisés
• On peut aussi imaginer des petites motorisations sur batterie 12/24V pour réaliser des distances plus longues ou porter des charges très lourdes.

Les principaux Inconvénients du Porteur Decauville :
• Peu, voir pas adapté du tout aux terrains en pente.
• Traversé de route compliqué (passage à niveau à mettre en place)
• Le coût des rails peut monter rapidement pour de grosses exploitations ou le hangar/chambre froides est loin du site de production.

Un déclin inéluctable, mais peut-être pas définitif :
Le porteur decauville fut mis en concurrence direct par l’arrivée des tracteurs dans les fermes, ces mêmes tracteurs étant associés à un symbole de ‘’modernité’’. Les Guerres contribuèrent également à dépouiller les fermes de leurs voies ferrées, pour les transférer au front ou dans les forts, afin de déplacer munitions, armes, vivres, blessés et autres charges.

Conclusion :
Le « porteur maraîcher » de type Decauville, pour tous ces avantages, pourrait reprendre du service et prendre une place non-négligeable dans de petites exploitations maraîchères, on pourrait même peut-être lui trouver un nom plus commun pour imaginer ces services sur d’autres types d’exploitations : brasseries, meuneries, vignobles, mielleries, champignonnières, atelier de transfo… Une large plage d'utilisation ou un tracteur n'est pas nécessaire, et ou la brouette n'est pas satisfaisante ergonomiquement parlant..
Le plus gros avantage étant de gagner en confort de déplacement de charges, notamment auprès d’installations qui souhaitent se passer progressivement d’engins motorisés et/ou en complément d’une traction animale.


Au plaisir de lire vos retours, avis, ça nous intéresse, et pourquoi pas fédérer un groupe de paysan.nes pour imaginer et prototyper le grand retour du porteur DECAUVILLE !

Sources :

http://www.cfchanteraines.fr/lvdc/lvdc0015/carnet04.htm
https://www.historail.fr/urbain/les-voi ... -de-paris/
https://www.karodaxo.fr/hors-metropolit ... ecauville/
Eliot Coleman en parle dans son livre "produire des légumes en hiver", lorsqu'il évoque ses rencontres avec les derniers maraichers parisiens (notamment Louis Savier, à Ballainvilliers).
Livre de référence : Decauville, ce nom qui fit le tour du monde
Pierre :arrow: Animateur Formateur sur l'Antenne Grand Ouest de l'Atelier Paysan.

Avatar de l’utilisateur
PGueret
Messages : 41
Inscription : 18 mai 2021, 14:44

Re: Porteur maraicher DECAUVILLE

Message par PGueret »

Article Issus du site '' cfChanteraines''

Le Chemin de Fer Maraîcher de Montesson.
carnet04_01.jpg
carnet04_01.jpg (37.24 Kio) Consulté 1197 fois
Montesson, petit village maraîcher était encore il y a vingt ans une toile d’araignée tissée par de la voie de 40 installée là, à des fins agricoles.

Aujourd’hui, après le passage à la " mécanisation moderne " : tracteurs ; canons à eau, cette toile s’est réduite à quelques fils.

En se promenant dans la plaine, coupée en deux par l’autoroute A14 (l’autoroute la plus chère du monde), mais, préservée - pour combien de temps encore de toute construction - on rencontre ça et là quelques tas de rails, des wagonnets isolés et des mouilleurs (arroseurs) dont certains sont encore en activité.

Quelques voies sont en place, préservées ou posées à dessein par certains " anciens " irréductibles et peut-être nostalgiques.
carnet04_02.jpg
carnet04_02.jpg (40.35 Kio) Consulté 1197 fois

Ci dessous le Témoignage de Monsieur Jean Laglantine, maraîcher à Montesson depuis 50 ans :

Naissance du chemin de fer

Avant la derrière guerre, la plaine de Montesson était " travaillée à la main ", la terre était retournée à la bêche, le transport des outils, des semences et des récoltes se faisait à dos d’homme à l’aide de hotte. Ceci avait pour effet de provoquer le tassement de la terre à cause du piétinement continuel, qui rendait le travail encore plus difficile et nuisait aux récoltes.

Dans le même temps, les carrières de Croissy et de Carrières sur Seine voyaient leurs gisements arriver à expiration. A noter qu’une grande partie des monuments de Paris furent construits à l’aide des pierres extraites de ces carrières qui disparurent pour laisser place aux champignonnières qui prirent la relève.

Les carriers utilisaient très tôt les wagonnets et la voie portative de 40. Les maraîchers comprirent rapidement l’intérêt d’un tel matériel et son transfert s’effectua tout naturellement du sous sol vers la plaine.

On vit alors apparaître des wagonnets, plats, à plate-forme élargie pour remplacer les hottes, des wagonnets à benne ou berce pour le transport et l’épandage du fumier et enfin les fameux mouilleurs pour l’arrosage des cultures.

Le tissage de la toile était amorcé et peu à peu, ce que Paul Decauville avait décrit, vit le jour à Montesson.

Le matériel de voie.

Il était essentiellement constitué par de la voie portative en rail de 4,5 kg/m, riveté sur traverses métalliques formant des coupons de 5 m de marque Decauville Acier ou Schneider au Creusot.

Quelques essais eurent lieu en voie constituée de rails de 7 kg/m ou en voie de 50 en rails de 7 et 9 kg/m, mais ce matériel fut vite abandonné à cause de son poids dissuasif pour déplacer la voie.
carnet04_03.jpg
carnet04_03.jpg (19.8 Kio) Consulté 1197 fois
Les aiguillages ne furent pas utilisés car leur emploi était délicat sur les terrains de cultures (risque de blocage, maniement difficile, etc.).

Les changement de voie étaient effectués à l’aide de plaques tournantes et de dérailleurs.

Quelques portions de courbe de faible rayon et de 1,25m de longueur () étaient utilisées pour le raccordement des voies parallèles à la voie principale, ceci à l’aide de dérailleurs (voir schéma et implantation des voies).

Durant la période hivernale, le personnel qui n’était plus occupé aux travaux des cultures déposait les voies (voie tordue, traverses désolidarisées) et procédait à leur badigeonnage à l’aide de bitume chaud. Le bitume provenait de la Société Bigorre Bitume à Tarbes. Il était fondu dans de gros récipients disposés au dessus d’un feu de bois. Ces chantiers étaient l’occasion de rencontres et de grands " casse-croûte " impossibles à faire en période de culture.

Le matériel roulant

Il n’y eut jamais de matériel de traction mécanique. Seule la traction hippomobile fut testée, mais vite abandonnée à cause du poids des chevaux qui tassaient la terre. D’autre part le recours aux chevaux ne pouvait se justifier que par la traction de train de wagonnets, ce qui était chose rare. En fait un homme poussait un wagonnet.

Les wagonnets utilisés étaient de marque Decauville, Popineau, Martin et Curty à Revel

carnet04_04.jpg
carnet04_04.jpg (25.3 Kio) Consulté 1197 fois
Au début de l’exploitation des wagonnets à benne étaient utilisés pour distribuer le fumier amené par la route.

La quantité était de 1 benne de chaque coté de la voie par portion de 5 mètres. Au moment de l’apparition des engrais, les bennes furent enlevées des wagonnets, et reconverties en bac à laver les légumes.

Les wagonnets finirent souvent leur carrière en plateau - après démontage des berces - pour le transport des cagettes de légumes. Il y eût même des wagonnets " rail-route " dont j’ai pu sauvegarder un exemplaire chez un ferrailleur.
carnet04_05.jpg
carnet04_05.jpg (22.16 Kio) Consulté 1197 fois

Le mouilleur ou l’arroseur encore appelé " diluvien ".


carnet04_06.jpg
carnet04_06.jpg (48.37 Kio) Consulté 1197 fois
Cet appareil est né de la collaboration de Clément Ader, du constructeur de la machine de Marly et de Cugnot. Le mouilleur, comme son nom l’indique, était destiné à arroser les plants de cultures en pluie fine. Une prise d’eau située au milieu de deux parcelles alimentait le mouilleur. Par l’intermédiaire d’une turbine, l’eau sous pression de 6 bars servait à la propulsion de l’engin, avant d’être dirigée dans les bras munis de buses et pivotant autour d’un axe.

L’orientation de la tourelle permettait d’arroser une largeur de terrain variable et maîtrisable, les buses montrait une efficacité redoutable, sans tasser le sol.
Pierre :arrow: Animateur Formateur sur l'Antenne Grand Ouest de l'Atelier Paysan.

Yves27
Messages : 2
Inscription : 05 octobre 2023, 08:09

Re: Porteur maraicher DECAUVILLE

Message par Yves27 »

Bonjour,

Merci pour ce partage. L'innovation dans la conception du mouilleur était également impressionnante pour arroser les cultures de manière efficace sans endommager le sol.
_____________________________________________________________________________________________________________________________
Notre site web : https://www.larevolutiontextile.com/une ... ans-pales/
Dernière modification par Yves27 le 31 octobre 2023, 11:45, modifié 1 fois.

Avatar de l’utilisateur
PGueret
Messages : 41
Inscription : 18 mai 2021, 14:44

Re: Porteur maraicher DECAUVILLE

Message par PGueret »

Yves27 a écrit :
09 octobre 2023, 07:49
Bonjour,

Merci pour ce partage. L'innovation dans la conception du mouilleur était également impressionnante pour arroser les cultures de manière efficace sans endommager le sol.
Vous avez connu ce genre d'installations ?
Pierre :arrow: Animateur Formateur sur l'Antenne Grand Ouest de l'Atelier Paysan.

Répondre

Revenir à « Comptoir »